François Heilbronn, Français juif, et non l’inverse
Par Jean-Baptiste Semerdjian
François Heilbronn. A.H.
PORTRAIT – Professeur à Sciences Po et vice-président du Mémorial de la Shoah, il publie un roman liant le sort de l’un de ses aïeuls, un médecin juif qui sauva en 1744 Louis XV, et celui de quinze membres de sa famille morts en déportation, en 1944. Une lettre d’amour à la France.
Une tête se détache dans la foule. Nous sommes en février 2019, place de la République, à Paris, où se déroule une manifestation contre la recrudescence des actes antisémites en France. Avec son mètre quatre-vingt-treize, François Heilbronn ne passe pas inaperçu. Sa carrure d’ancien boxeur se détache entre les pancartes assénant «l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit» ou bien «mon pays, c’est la France». Certains le saluent, d’autres le félicitent pour ses déclarations comme vice-président du Mémorial de la Shoah. Il répond d’une poignée de main, se penche pour discuter avec les plus énervés, tracts à la main. Un peu plus tôt, aux côtés d’Emmanuel Macron, du président du Sénat et de l’Assemblée nationale, il s’est recueilli face au mur des Noms des 75.568 juifs français et étrangers, dont 11.400 enfants, déportés de France.
Quatre ans plus tard, les actes antisémites ont baissé (- 26 % en 2022 selon le ministère de l’Intérieur), mais représentent 62 % des actes antireligieux, pour moins de 1 million de Français. Et plus personne ne manifeste… «En 1967, la France comptait 600.000 juifs, aujourd’hui, plus que 450.000, c’est une chute terrible, regrette François Heilbronn lorsqu’il nous reçoit chez lui en janvier dernier. Quand j’étais jeune, dans les années 1990, les bâtiments étaient attaqués, c’était des actes surtout symboliques. Maintenant, cet antisémitisme, porté principalement par des islamistes radicalisés, s’est infiltré avec les réseaux sociaux, et s’en prend davantage aux citoyens (+ 8 % en 2022). Des Français juifs ne se sentent plus en sécurité, n’ont plus confiance dans la justice, et beaucoup partent résignés en Israël.»
Et lui? Cet homme de combats depuis son adolescence ouvre grand ses yeux quand on évoque – un peu naïvement – cette hypothèse. Et l’on devine sa lassitude de devoir rabâcher ce qui ne fait aucun doute, ce qui est juste normal: «La France ou Israël? Le grand rabbin Jacob Kaplan répondait à cette question que c’était comme choisir entre sa mère ou son père. Je suis profondément sioniste, les Juifs ont le droit à l’autodétermination, en tant que peuple, à un État et à une terre qui est celle de leurs ancêtres, tranche-t-il avec son regard doux, mais ferme. Et je suis profondément patriote, je n’ai pas d’autre pays que la France.»
Lettre d’amour à la France
La France, justement, qui a si longtemps tourné le dos à ses Juifs, pourtant présents depuis 2000 ans, François Heilbronn lui écrit quasiment une lettre d’amour avec son roman historique Deux étés 44 (paru chez Stock) où il lie l’acte héroïque de son aïeul médecin, Isaïe Cerf Oulman, qui sauva (clandestinement, car juif) Louis XV d’une féroce dysenterie en 1744 à Metz, et l’année 1944, quand quinze membres de sa famille furent envoyés à la mort par les nazis. Et comme dans toute longue relation – millénaire, c’est vous dire – il y a des blessures, des passions et des incompréhensions. «Ce roman passionnant est l’éloge du patriotisme juif, de cette fierté d’être français, malgré les trahisons, l’affaire Dreyfus, la collaboration, Vichy…», commente son ami l’académicien et écrivain Antoine Compagnon.
«J’ai voulu rendre justice à la grandeur de la participation des Français juifs à l’histoire de mon pays, et aussi à la France avec la panthéonisation de Simone Veil en 2018 qui répara», explique Heilbronn, avec la certitude de celui qui a éprouvé sa parole au fil du temps. «C’est un professeur très cultivé, passionné, qui crée le sentiment que l’amphithéâtre se rétrécit et que l’on reçoit, à 300, un cours particulier», nous avait prévenus un ancien élève devenu romancier.
Seules comptent l’initiative, l’action. Les prières n’occupent que les faibles et les simples d’esprit
François Heilbronn, dans Deux étés 44
Remuer le passé difficilement cicatrisé engage pour l’avenir et oblige. Pourquoi? Ne faut-il pas laisser faire le temps? Assis devant nous dans son salon, avec son chien qui ronflote, entouré de bibliothèques où trônent des éditions originales de Joseph Kessel, on scrute cet homme d’apparence insubmersible, à la fois empathique et chaleureux, retracer son parcours de militant face à l’extrême gauche comme l’extrême droite, des rouges aux bruns – à coups de poing parfois -, et l’on pèse le poids de l’histoire de sa famille qui l’emporte. On se rappelle alors un passage digne de Kipling croisé dans son roman, «seules comptent l’initiative, l’action. Les prières n’occupent que les faibles et les simples d’esprit».
Un travail pour la mémoire
François Heilbronn, entrepreneur talentueux, professeur à Sciences Po, militant infatigable et chef de famille nombreuse, qui parle avec autant de passion d’Alexandre Dumas que de son service militaire dans un régiment de paras, rééquilibre à sa manière le passé. À l’obscurité de l’Histoire, il oppose la lumière de l’action. «Quand on perd autant de personnes, et si injustement, un tel engagement s’explique», glisse avec finesse Antoine Compagnon. «Dans une société où l’héritage de valeurs n’est plus très à la mode, François se montre à la hauteur de l’exemplarité de ses ancêtres qui furent de grands patriotes, et l’obligent aujourd’hui pour l’avenir. Son roman s’inscrit complètement dans son travail pour la mémoire», ajoute son amie le rabbin Delphine Horvilleur.
Je ne supporte le poids de mon histoire qu’en la transmettant, pour que ça ne se reproduise plus. Le vrai combat est dans les écoles François Heilbronn
Après deux heures d’entretien, notre insubmersible fend – enfin – l’armure: «Quand on rentre dans les tunnels de l’histoire, on tressaille bien sûr. Mon père a été bouleversé par certaines découvertes concernant l’assassinat de ses grands-parents et de ses tantes. Mais il faut raconter et reconstruire les familles. Je ne supporte le poids de mon histoire qu’en la transmettant, pour que ça ne se reproduise plus. Le vrai combat est dans les écoles, les manifestations arrivent quand c’est déjà trop tard!»
On pense alors à une parole du Talmud: «Quand tu enseignes à ton fils, tu enseignes aux fils de ton fils.» Et nul doute qu’il a secrètement mis des exemplaires de son livre de côté pour ses futurs petits-enfants.
Par Jean-Baptiste Semerdjian www.lefigaro.fr/
Articles similaires
La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.